La banale fascisation de la droite étudiante

Lors d’une simulation parlementaire étudiante à Lille le 31 janvier 2025, des participants opposés à des mesures contre les inégalités ont tenu des propos discriminatoires et effectué des saluts nazis. Ces dérives illustrent la banalisation inquiétante de l’extrême droite et de ses symboles, y compris dans le milieu étudiant.

En 1986 Jacques Chirac évoquait la nécessité d’un « cordon sanitaire » pour marquer une séparation entre droite « républicaine » et extrême droite incarnée par le Front National. Aujourd’hui, ce cordon sanitaire s’érode et les
universités n’échappent pas à ce phénomène. Berceau des évènements de mai 1968, les facultés françaises sont historiquement plutôt marquées par la gauche. À cette période, elles sont lieux de diverses revendications et débats autour de la rigidité du système éducatif, les inégalités de genre, ou encore la démocratisation du savoir. En réaction à ces revendications et à l’occupation des lieux d’études, l’Union Nationale Inter-universitaire (UNI) se forme en 1969 afin de représenter la droite étudiante au sein des universités. L’UNI est dans un premier temps très liée au gaullisme et à la droite « républicaine ». Jusqu’en 2015, l’organisation reçoit même des financements de l’UMP. Ces financements ont diminué à mesure que l’UMP s’est transformée pour devenir l’actuel parti des Républicains; une distance qui ne semble pas que financière, mais aussi idéologique, si on en croit les positions de l’organisation étudiante.

Un bouleversement idéologique

À l’instar du paysage politique national, les universités françaises connaissent elles aussi un dangereux glissement de ces mouvements de droite vers l’extrême droite. L’UNI aligne désormais son discours sur les thèmes abordés par le Rassemblement national, et adopte par la même occasion leurs stratégies sur la scène politique. Interrogé, Mathéo
Tessa, responsable de l’UNI Lille, nous explique que l’organisation regroupe des membres de divers bords
politiques à droite, « de la branche la plus macroniste des Républicains, jusque Zemmour, Reconquête, et
même des étudiants qui ne se reconnaissent pas dans les partis, juste qui se considèrent de droite »
. À ce titre, le chef de la section lilloise du mouvement se montre particulièrement fier d’avoir fait « l’union des droites » : « L’UNI fait depuis des années ce que nombre de politiques à droite veulent, c’est l’union des droites. Nous, on a réussi à la faire depuis des années au sein des sections ».

Mathéo Tessa, responsable de l'UNI Lille
Mathéo Tessa, responsable de l’UNI Lille


Cette union se fait néanmoins au profit d’une frange radicale de la droite. Mathéo Tessa ne dissimule pas la prédominance de l’extrême droite au sein de la section lilloise. « On a plus de personnes du Rassemblement national dans notre section, mais ce n’est pas pour autant qu’il va y avoir des guerres politiques au sein de l’UNI. Au contraire, on a qu’un but, c’est promouvoir les idées de l’UNI au sein de l’Université ».
Les idées de l’UNI, promues par tous ses membres, tirent pour nombre d’entre elles, leur source à l’extrême
droite. Mathéo Tessa, nous présente ainsi la lutte contre « l’islamisme » comme « extrêmement importante », allant jusqu’à compter le nombre de femmes intégralement voilées présentes à la faculté. De plus, questionné sur les manières de militer au sein de l’UNI, il met en avant le « côté lancement d’alerte » qu’a l’UNI, « on l’avait fait pour le voile intégral » dit-il. Construit comme menace dans l’imaginaire collectif, le voile est devenu un véritable symbole pour les mouvements d’extrême droite. Reprenant ce discours qui alimente l’islamophobie, l’UNI participe à la vague politico-médiatique de banalisation de la haine anti-musulmans, la rendant, par son omniprésence, tolérée voire légitime.

Un discours devenu presque acceptable

Cette banalisation d’un discours autrefois choquant est l’illustration du concept de fenêtre d’Overton. Joseph P. Overton, un lobbyiste américain, avait mis au point cette allégorie d’un cadre, une fenêtre, des idées perçues comme « acceptables » et dont nous pouvons débattre dans la société (par exemple la réforme des retraites). À l’extérieur de cette fenêtre se situent les sujets non acceptables dont nous ne pouvons pas débattre (par exemple rétablir l’esclavage). L’idée d’Overton est qu’il est possible de déplacer, d’agrandir cette ouverture à mesure que la société évolue, venant ainsi transformer les sujets perçus comme impensables, en radical puis progressivement de les faire devenir acceptables puis raisonnables. Ainsi, la montée de l’extrême droite et des nationalismes viennent bousculer cette fenêtre en banalisant des idées qui étaient encore situées en dehors de ce cadre il y a quelques années. Le virage à droite pris par l’UNI s’intègre dans une radicalisation globale qui contribue à modifier le champ de cette fenêtre d’Overton. 

Exemple concret de ce glissement idéologique, lors d’une simulation parlementaire de janvier 2025, des étudiants ont non seulement tenu des propos discriminatoires envers leurs opposants de gauche, mais aussi fait des saluts nazis, un acte qui aurait été impensable il y a encore quelques années. Cette évolution témoigne d’un processus de normalisation des idées extrémistes, qui parvient progressivement à s’infiltrer dans des espaces autrefois considérés comme des lieux de débat respectueux et démocratiques. Cela témoigne de l’ouverture de la fenêtre d’Overton et de la façon dont ces idées d’extrême-droite autrefois marginales, trouvent peu à peu une place dans le débat public.

Face à la radicalisation, des réactions

Les universités ne restent pas de marbre face à la droitisation du paysage étudiant. Le président du groupe de droite RDR Pierre Craddock au Parlement Étudiant, incarne bien cette évolution : s’il revendique des idées conservatrices, il a néanmoins quitté l’Union Nationale Inter-universitaire en raison d’un virage jugé trop radical, bien qu’aujourd’hui son groupe soit accusé de propos extrêmes. Lors de notre échange, il insiste sur l’image qu’il souhaite renvoyer, refusant d’être assimilé à l’extrême droite et conscient du rejet dont la droite peut faire l’objet dans les milieux universitaires.

En parallèle, des étudiants engagés à gauche mènent une lutte contre l’influence de l’UNI, perçue comme un vecteur de cette droitisation. Certains d’entre eux, avec qui nous avons échangé, assument même avoir insulté le directeur de l’UNI, estimant que cette organisation ne devrait pas exister. Pour eux, elle ne représente pas une simple opinion politique mais diffuse des messages racistes et discriminatoires, ce qui légitimerait leur opposition frontale. Ils dénoncent aussi un climat où ces idées d’extrême droite dérangeraient de moins en moins : selon eux, des propos qui auraient suscité un véritable tollé il y a quelques années sont aujourd’hui banalisés. Ce climat tendu est le révélateur d’un réel affrontement idéologique au sein des facultés, où les frontières politiques semblent de plus en plus marquées.

Le cas du RDR et de la dérive de certains membres lors de la simulation du Parlement Étudiant illustre aussi cette porosité croissante entre la droite et l’extrême droite. Face à cette dérive, le directeur  a pris la décision d’exclure une personne ayant realisé un salut nazi, souhaitant préserver l’image du RDR. Mais cet épisode souligne une réalité troublante : le groupe se revendiquant de droite inclut des individus aux idées bien plus extrémistes. 

La radicalisation des mouvements de jeunesse de droite ne fait plus véritablement de doute et ne se cache plus. Si cette extrême-droitisation semble être le reflet de la société française dans son ensemble, la rupture totale avec le cordon sanitaire érigé en principe par Jacques Chirac et d’autres figures de la droite républicaine est actée. Les jeunes militants de l’historique droite républicaine n’hésitent désormais plus à s’allier à l’extrême droite et les frontières avec les courants identitaires et racistes ne sont plus tabous. Résultat de l’élargissement de la fenêtre d’Overton, la fascisation du presque unique mouvement de droite étudiante qu’est l’UNI pose question sur l’état général des idées de la droite républicaine.

Auteurs : Violette DUCOULOMBIER, Lylia SNOUSSI, Léa BAHJAOUI et Hugo LEFORT-MORON

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